Le crépuscule approchait doucement et le
garrista des Echappés faisait à moitié mine de prendre du bon temps avec son frère le long de la rive de la Foire Changeante. Pourtant l'un comme l'autre avaient d'autres plans potentiels pour la nuit qui allait suivre. Tout l'attirail de crochetage de Vasco était soigneusement rangé dans un étui, lui-même enfouit à l'intérieur de sa chemise. Ilario possédait également une bonne longueur de corde dissimulée quelque part. Ils tentaient de se rafraichir d'une bière vaseuse tout en passant en revue les méandres du cambriolage qu'ils allaient commettre.
Finalement, lorsque le faux-jour prit la place du défunt soleil, les deux compères se mirent en route vers le sud-ouest, jusqu'à rejoindre la Via Camorazza. En face d'eux, la Rangée du Numismate s'étirait vers le sud, au delà d'un pont au sommet duquel ils se postèrent. Ils attendirent là à nouveau pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'une femme engoncée dans un épais foulard vienne à leur rencontre. Elle releva brièvement son couvre-chef pour dégager ses lèvres et leur glissa quelques mots à voix basse.
Vasco afficha un rictus léger, la remercia de quelques pièces, puis les deux Veridian firent volte-face pour s'enfoncer dans la Fauria. Leurs tenues étaient à la limite de la pauvreté dans un tel endroit, mais ils pouvaient encore passer pour des bourgeois malchanceux en manque de bénédictions de la part de Gandolo. Ils savaient où aller, et déambulèrent dans les rues jusqu'à atteindre une habitation spécifique, affichant les habituels étages supérieurs de ce quartier. Là, ils bifurquèrent dans les ruelles plus étroites pour contourner la maison par l'arrière.
Ilario s'assura de la certitude de son frère aîné.
"Toujours décidé? Tu es prêt?""Tu l'as entendu comme moi. Elle vient de quitter Meraggio et se rend une fois de plus vers les Traquenards. C'est le moment."Le jeune Veridian hocha la tête et sorti la corde de sous son ceinturon. Il y noua un crochet, le fit tournoyer et le lança vers le sommet de la bâtisse. Quelques secousses pour s'assurer de la prise, et il s'élança à l'ascension du mur.
***
Quelques semaines plus tôt, à la même heure.
Vasco était étendu dans un grand fauteuil moelleux et assiégé par des coussins rembourrés. De petits rires sonnaient autour de lui comme des clochettes, ponctué par d'autres esclaffements gras et rauques. A travers les tentures entrouverte de l'alcôve qu'il avait payée, le voleur observait d'un air distrait les filles et les clients défiler dans le bâtiment des Muguettes. L'air empestait la sueur, la fumée des drogues et le stupre. Lui-même savourait une sorte de narguilé dont les relents avaient empli le petit espace privé d'un brouillard entêtant.
Une nouvelle entrée, d'une inconnue, le sorti pourtant de sa torpeur. Et il se surprit lui-même en se rendant compte que ce n'était pas la plastique de la femme qui avait alpagué son regard mais le contraste de cette dernière par rapport aux Gens Bien éparpillés, voire emmêlés, un peu partout. Il se redressa de son fauteuil maladroitement, encore assommé par les volutes de tabac, et resta appuyé sur ses coudes à suivre
Léodine du regard, avide notamment de connaître les raisons qui l'emmenaient en pareil lieu.