Compétences

A toutes les connaissances d'une jeune fille de la bourgeoisie bien élevée. Elle sait danser plusieurs danses, ainsi que les règles de l'étiquette en cours dans les Sept Essences. Elle sait broder et coudre, chanter et jouer de la harpe comme du clavecin. Elle sait parler le vadran mais aussi le thérin. Et elle a de grandes compétences en botanique et en herboristerie. En matière de savoirs plus physiques, elle sait monter à cheval et sait se battre à l'épée.Fille de marchands de Parlay, elle connait aussi les rudiments de navigation.

Je soupire alors que je repose rageusement mon éventail usé sur le guéridon en marqueterie à côté de moi. Par les Saintes Essences que je déteste cet endroit! Il y fait chaud comme dans un four et lourd comme une chape de plomb. Le moindre pas, le moindre geste fait avant l'heure de ce qu'ils appellent Faux-Jour vous met en nage, autant que si l'on avait fait une chasse à courre de plusieurs heures dans une forêt profonde, ou l'on avait joué à diverses jeux de balle. Non, ici rien que le fait d'exister est épuisant. Surtout que cette satanée ville ne semble pas connaître la fraîcheur. La journée l'air vient du large mais les lagunes à l'eau lourde et épaisse dégagent une humidité poisseuse qui est tout sauf agréable. Et le soir... le soir c'est encore pire. Le vent vient des terres et suffoque, emportant avec lui des relents de marais et de cadavres. Que je regrette de me tenir sur un des balcons du palais et de sentir le vent frais et vivifiant me fouetter le visage et faire rosir mes joues. Ou sentir mes robes froufrouter lors d'une promenade sur la plage, et rire en retenant mon chapeau ou mon châle d'être emporté par une bourrasque taquine. Ici c'est comme l'haleine d'un vieux courtisan qui donne la nausée...

Je relève la tête et regarde l'extérieur. L'après-midi touche à sa fin, et d'ici quelques heures la nuit va tomber. Je me redresse, et passe dans mes appartements pour prendre le troisième bain de la journée. La servante remplit la grande cuve d'eau fraîche et je soupire en m'y abandonnant, les yeux clos. Si ça ne tenait qu'à moi, j'élirai domicile là, dans cette baignoire, jusqu'au moment où nous pourrons enfin rentrer. Rentrer... Je soupire en repensant à ma vie d'avant. Notre vie. Ma jeunesse dans le riche hôtel particulier de ma famille, les fameux Winterweiss, ayant fait fortune dans le commerce de denrées rares que les courageux marins allaient chercher aux quatre coins du monde. Nous avions notre place à la cour du Graf depuis des générations, et petite, j'ai connu tous les plaisirs auxquels une jeune fille, puis une jeune femme de mon rang et de ma fortune pouvait prétendre. Cours de musique, de danse, d'équitation mais aussi la botanique, domaine dans lequel j'ai toujours excellé. Etrangement, cette science m'a toujours fascinée. Utiliser les plantes, les feuilles ou les boutons qui nous entouraient pour faire des remèdes, des parfums ou des huiles avait quelque chose de fascinant. Et si je n'avais pas de patience, adolescente, pour grand chose, j'en trouvais néanmoins lorsqu'il s'agissait de distiller l'huile rare d'une fleur précieuse. De plus, croiser des espèces, créer des boutures, apporter sur cette terre des plantes qui n'y existaient pas... n'est-ce pas merveilleux?

Nous étions invités à de somptueuses fêtes et nous donnions des réceptions grandioses.
Et puis je l'ai rencontré. Enfin rencontré... Je l'ai connu depuis toujours, mon Emil... sauf que devenant adolescente, son regard sur moi a changé. Il a commencé à rechercher de plus en plus fréquemment ma compagnie et mes danses. Il s'est fait doux et charmeur, et il a commencé à me couvrir de cadeaux somptueux. Presque tous les jours j'avais droit à un présent : une brassée de roses, un collier, une cape, tout provenant des meilleurs artisans de la ville. Et de mon côté, je le trouvais adorable, drôle et gentil. Et... c'était le futur Graf! Quel honneur pour une femme qui descendait d'une famille de gronkaptja. J'avais eu bien raison de repousser toutes les propositions de mon père, si c'était pour avoir l'anneau d'Emil à mon doigt. Et après plusieurs mois d'une cour assidue, nous nous sommes finalement mariés. Ma famille était folle de joie, évidemment, et cinq années heureuses commencèrent. Nous faisions la fête, nous passions nos journées ensemble, nous nous promenions, nous étions invités un peu partout... c'était parfait. Surtout que mon mari continuait à me choyer à la limite du convenable.

Sauf que je découvris trop tard qu'il n'avait aucun, mais alors aucun talent pour gérer sa fortune. En fait... je ne l'ai appris que lorsqu'un soir il m'a réveillée alors que j'étais installée dans notre grand lit, sous l'édredon de plumes.

"Sissi! Sissi prépare tes bagages, emmène quelques vêtements, vite!
- Mais que dis-tu? On est au beau milieu de la nuit... Laisse moi dormir.
- Sissi tu es en danger! Des hommes sont aux portes du palais! Ils...ils en ont après moi! Après nous!"


J'ai vu une telle panique dans ses yeux que j'ai repoussé les couvertures, et j'ai fourré ce que j'ai pu de bijoux et de robes dans une malle. La servante m'a aidée à m'habiller à la hâte, et c'est les cheveux nus, avec à peine une cape sur les épaules que je me suis engouffrée dans la voiture qui nous attendait dans la cour. Nous sommes allées d'une traite jusqu'au port, avons payé le voyage avec un bracelet en diamants qu'il m'avait offert, et c'est seulement à l'abri dans une cabine feutrée, le port loin derrière nous, qu'il m'a tout expliqué.

J'ai été furieuse. Follement furieuse. Mais je pensais avec innocence que cet exil ne serait que temporaire. Qu'après quelques mois, ou peut être une année à Camorr, cette ville si exotique, nous retournerions chez nous. Et qu'en attendant, nous serions le baron et la baronne di Acciari. Ce seraient des vacances! Des vacances dans un pays chaud, que je pourrais raconter à mes amies à mon retour, tout en leur montrant toutes les merveilles que nous aurions ramenées de ce séjour. Mais cet infime espoir s'évanouit lorsque nous arrivâmes au domaine qui appartenait à sa famille. Le château était là, oui, mais au lieu d'être la maîtresse de maison d'un hôtel confortable et luxueux, je me retrouvais impératrice d'un palais de courants d'air. Et là j'ai pleuré. J'ai hurlé sur lui, le traitant de tous les noms, d'incapable, de honte, que je regrettais de l'avoir épousé si c'était pour me retrouver dans une maison dont même un cocher ou un tisserand ne voudrait pas...mais il avait l'air si triste, si désolé que ma colère s'est apaisée comme une tempête de mer, et j'ai glissé ma main dans ses cheveux. Je lui ai dit qu'on s'en sortirait. Qu'on se débrouillerait.

Alors j'ai retroussé mes manches. Je me suis faite à cette ville puante et crasseuse et à leurs coutumes barbares, comme celle, la pire de toutes, concernant le traitement réservé aux jeunes filles rousses. Je me suis fait inviter et j'ai utilisé mes talents pour concocter potions et décoctions à destination de l'élite, la seule chose que je savais faire. Les sages matrones étaient rassurées d'acheter remèdes et philtres des mains d'une baronne, désargentée certes, mais baronne tout de même, et cette source  de revenus nous sortit plus d'une fois de l'embarras, pendant qu'Emil, de son côté, faisait de son mieux pour s'attirer la protection du duc Nivocante...

Parlay me manque. Le vadran me manque. Notre vie là-bas me manque... ici je suis regardée comme une curiosité à cause de ma peau si claire en comparaison de la majorité ici, et le thérin est une langue si peu agréable... enfin qu'importe. Nous y arriverons. Je le sais.