Compétences

Alba est douée d'une intelligence particulière à l'égard des chiffres. Toute petite, elle aimait les cours de calcul : c'était du concret, quelque chose qu'elle comprenait vite, et en plus, ça avait une application directe dans sa vie. Maintenant, elle connaît le budget de la maison au demi-barons prêt. Budget qu'elle a d'ailleurs soigneusement calculé selon les impôts prévus. Si seulement son père le respectait...

Vie et ambition d'Alba Gabanelli, deuxième génération.

Tout couple fait des choix regrettables. Que ce soit le choix du vin lors du mariage, le prénom de leur fils, ou le fait d'assortir leurs chemises, cela arrive à tout le monde.

Alba et Folco Gabanelli avaient fait le choix regrettable de se reproduire comme des lapins sous aphrodisiaques.

(Il est à noté que le vin lors de leur repas de mariage était détestable, que leur première enfant s'appelait Zeno, et qu'une fois, ils avaient assorti leurs chemise.)

Lorsque commence ma narration, ils en étaient à dix huit ans de mariage, et neuf enfants. Ce qui fait un rapport sexuel et un enfant tous les deux ans (du moins d'après les calculs savants de leur voisine). Comme cela faisait un an et six mois qu'elle avait accouché, Alba Gabanelli mère abordait donc fièrement un ventre tendue par une énième grossesse, ignorante que tous la méprisait pour ce dont elle était la plus fière.

Pourtant, c'était une femme relativement intelligente. Elle ne se faisait aucune illusion sur l'homme qu'elle avait marié, un crétin complet avec un amour illimité pour l'alcool. Peut être est ce que c'était pour ça qu'elle avait éprouvé le besoin de pondre autant, ou peut être avait elle une poule pour ancêtre.

Et ici arrive le moment où ma narration cesse d'être légère et moqueuse.

Car Alba Gabanelli, femme aimante et en bonne santé ne survécut pas à l'accouchement.

Quand celui ci avait commencé, personne ne s'était trop dérangé : ce n'était ni le premier, ni le dernier. Seule une servante habituée de l’événement l'assistait. Celle ci eut à peine le temps de récupérer l'enfant, de sourire à Alba pour lui dire "C'est une petite fille !", que quelque chose, quelque part, dans son corps, lâchait soudainement et celle-ci mourut.

On appela l'enfant Alba, car comme je l'ai dit précédemment, le père était un crétin complet avec un amour illimité pour l'alcool.

Lorsqu'on est la dixième enfants de la famille, il existe trois stratégies pour avoir un peu d'attention : avoir une sœur siamoise, piquer des colères légendaires, tuer un de ses frères. Heureusement pour nous, Alba choisit la seconde technique. Environ 85% de son enfance fut passée dans sa chambre, à hurler. Seule deux choses la calmait : la fatigue (rarement) et son frère Gabriele, deuxième enfant de la famille qui avait pris le rôle d'adulte mature et responsable de la famille (rôle qui comme on le verra plus tard ne peut être tenu que par une personne à la fois dans la famille Gabanelli).
Celui-ci, avec beaucoup d’amour mais aussi beaucoup de fermeté, la faisait s’assoir avec son précepteur. Car Alba fille était douée d’une intelligence vive, particulièrement dans les mathématiques. Gabriele néanmoins ne réussit jamais à lui apprendre à combattre : d’une maladresse légendaire, il fallut arrêter les cours d’épée, pour sa propre sécurité.

Deux événements marquèrent fortement l’Honorable Gabanelli pour le reste de sa vie. L’un d’entre eux peut sembler anecdotique, mais chacun forgèrent son caractère.

Tout d’abord, son frère Gabriele décéda.

Comme sa mère, il mourut par surprise, mais une surprise attendue. Depuis la mort de celle-ci, les medekiners avaient supposé qu’une malformation du cœur, dont semblé être morte Alba, avait pu se transmettre à un de ses enfants. Et Gabriele, dont les lèvres devenaient violettes au moindre effort physique, avait toujours pressenti qu’il était cet enfant là. Parfois, alors qu’il veillait sur sa sœur endormie après plusieurs heures de hurlement (pas de malformations cardiaques chez elle), il murmurait « quand je mourrai, tu seras toute seule… ». La mort le prit à l’aube de la vingtaine. Il marchait dans une rue, et puis il s’écroula. Mort et bien mort.

Ce fut un choc pour Alba, alors dans la période adolescente. Elle n’avait jamais envisagé que son frère chéri puisse partir. Cette tragédie fit naître en elle des sentiments toujours présent : ressentiment envers ses frères et sœurs survivants, alors que Gabriele, le seul intéressant, ne l’est pas, profond sentiment de responsabilité envers sa famille, et un renfermement sur soi poussé à l’extrême : si elle a beaucoup de connaissances, de personnes avec qui elle apprécie de passer du temps, c’est peu dire que de dire qu’elle n’a pas de véritable ami.
Le deuxième événement, je l’ai dit, va vous sembler ridicule. Alba devait avoir douze ans, ou treize. Elle se trouvait chez une vague connaissance, à un grand dîner, et s’était égarée dans un couloir lorsqu’elle entendit cette conversation :
« Vous avez invité des gamins Gabanelli ? Mais enfin, pour quoi faire ? »
« Mais la charité, enfin ! Orphelins de mère, condamnés à une dégénérescence certaine, et bientôt pauvre. » (insérer ici un rire méprisant)
« Bientôt… C’est qu’il leur en reste de la fortune à dilapider ! Plus on part de haut, plus la chute est longue.»
« Enfin, avez-vous parlé quelques minutes avec le père ? Il se fera sucer sa fortune par tous les arnaqueurs qui passent »
( Je suis en capacité de vous la rapporter mot pour mot, car, rancunière, Alba se la répète dans sa tête tous les soirs)

C’est ce jour là qu’elle prit définitivement conscience que sa famille, qui l’énervait personnellement, allait aussi à la ruine. Que son père n’était pas juste un alcoolique bougon dont les cris lui tapaient sur les nerfs, mais un homme qui allaient les mettre sur la paille.

Et que elle, Alba Gabanelli fille, avait dorénavant la sainte mission de redorer l’image de sa famille, et ce, de grès ou de force. Surtout de force.