Compétences

Une vie passée sur les flots lui a éclairée les arcanes de la navigation. Elle a appris avec le temps à lire des cartes, à gueuler ses ordres dans un langage coloré, à picoler jusqu’à plus soif avec son équipage, à lancer (et perdre) des paris idiots, à aborder les navires pour les piller.
Sabre à la main, Chiara est redoutable au corps à corps et elle ne se sépare que rarement de ses deux lames jumelles. Du reste, ses poings, s'ils sont fins, sont particulièrement efficaces en cas de bagarre.  

I

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Le triomphe est total mais bien peu de chose compte tenu des dégâts et des pertes. Aucun hurlement de joie pour supplanter ceux de douleur ou de tristesse. Sur le navire on s’active avec des gestes fébriles. Les morts d’un côté, les blessés d’un autre, pendant que les plus vaillants vident les cales du bâtiment conquis. Le medekiner s’agite de tous côtés, distribue ses consignes aux volontaires qui l’aident du mieux qu’ils peuvent tandis que le capitaine fait les cent pas sur son pont ravagé. C’est l’une des cales qui sert d’hospice de fortune, et ils manquent de tout pour sauver les membres de l’équipage les plus blessés. Jamais l’Infortune n’a aussi bien porté son nom.

Allongée sur la paillasse qui lui sert de couchage, Chiara oscille entre un vague état de conscience et un coma léger. On presse contre son ventre des tissus qui ne finissent jamais de s’imbiber de sang. Afzal, enfin, s’approche d’elle et congédie tous ceux qui ne sont pas nécessaires. Ne restent à ses côtés que le pirate qui l’assiste et Assad – personne n’essaie même de l’obliger à dégager. On lui demande simplement de se décaler pour permettre une meilleure visibilité. La pointe de la lame est profondément enfoncée dans les chairs du bas-ventre, et Afzal ne retient même pas le soupir qui lui traverse les lippes. « Fais lui boire ça. C’est pour l’endormir, il ajoute pour anticiper les éventuelles questions ou protestations de l’autre pirate. Elle vivra, mais elle va douiller. Et, j’t’assure, j’préfère qu’elle soit complèt’ment inconsciente quand j’vais lui r’tirer c’machin du bide. Si on peut s’passer de hurlements supplémentaires… ». Les doigts agiles du medekiner s’agitent autour de la plaie, doux mais vifs et rapides à la fois – la triste habitude. Maintenue à fleur de conscience, Chiara avale bien gentiment la mixture et il ne faut qu’un instant pour qu’elle repose, complètement inerte dans les bras de l’autre. « …n’a pas beaucoup d’temps, que marmonne d’ailleurs Afzal, quelques minutes avant qu’elle s’réveille. Tiens, mets-lui ça dans la bouche. » Les gestes sont d’une rare précision quand, avec une fine lame, il entaille le ventre de Chiara pour extraire le métal profondément fiché. Et une fois fait, le medekiner attrape un fil, une aiguille qu’il désinfecte à l’aide d’un produit d’une rare puanteur, et referme la plaie le plus proprement possible compte tenu de la situation. Enfin, il se relève et plonge ses yeux dans ceux du jeune homme encore prostré aux côtés de Chiara, et délivre son pronostic.  « Elle vivra probablement. Elle n’enfantera jamais, mais elle vivra. »


II

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Accoudée sur le bastingage, Chiara observe la petite île s’éloigner, et le capitaine –non, l’ancien capitaine- et ses quelques fidèles devenir de fins points sur l’horizon. Le sourire sur son visage est franc quand elle se retourne pour enfin faire face à son équipage. Elle garde le silence un long moment et prend le temps de croiser les regards de chacun des hommes et des femmes qui le composent. Quand ses yeux rencontrent ceux d’Assad, le sourire s’élargit plus encore. Dans l’histoire des mutineries, celle-ci doit-être la plus pacifique qui soit : ils ont simplement débarqué sur une île (même pas perdue, d’ailleurs, un navire passera probablement prochainement à proximité et pourra les secourir) le capitaine vieillissant de L’Infortune et les quelques marins bien trop loyaux pour considérer l’idée de la rébellion. Mais, la morosité rongeait l’équipage : depuis bien trop longtemps, déjà, Juan Migliore, leur capitaine, refusait de prendre le moindre risque lors des abordages, n’attaquant que de faibles bâtiment, à la victoire facile et aux butins légers. Lassitude devenant rancœur, la décision a été prise un soir dans une auberge – là où ils passaient la majeure partie de leur temps. Puisqu’on pouvait compter plus de jours à quai que de jours en mer pour L’Infortune, il fallait changer de capitaine. Et le choix s’est porté, à l’unanimité, sur Chiara. Parce que fiable, parce qu’appréciée de tous les marins, parce que l’une des plus anciennes. Parce que c’était évident.

Alors, Chiara se tient droite devant eux, essaie de se composer un air grave de circonstance, et le silence est total. Probablement qu’un discours s’impose. Elle doit vraiment en faire un ? Personne ne l’attend vraiment d’elle. A la place, c’est un éclat de rire, puissant et libérateur, qui la secoue. L’hilarité gagne peu à peu le reste du groupe. C’est galvanisant et fédérateur. Puis, peu à peu le silence reprend ses droits, et c’est là qu’on attend les mots de leur nouveau capitaine. « Cap sur Port-Prodigue. Ce soir, on boit, on baise ! Et demain, à l’aube, on fout l’camp à l’autre bout du monde ! Et quand on r’viendra, on va en chier, tellement qu’on s’ra riche ! »  La clameur reprend de plus belle, les ordres sont distribués et chacun reprend son poste. Les yeux de Chiara se perdent dans la foule pour repérer Assad, qui malgré son nouveau rang de second, s’active autant qu’un corvéable de bas-étage. Un sourire, un peu triste, barre le visage de la femme quand elle l’observe s’activer. C’est ici qu’il est vivant et heureux. Mais là-bas, à Montierre, c’est Sohane, Anahita et Qassim qui l’attendent… Et Chiara pressent que cette liesse ne sera que de courte durée pour son ami, son frère. Et, comme pour chaque tempête, elle sera à ses côtés.


Chronologie

500 : Naissance Chiara, d’un père et d’une mère dont l’histoire n’a retenu que leur insignifiance.
518 : Devient corvéable sur L’Infortune.
520 : Obtient un véritable rang de pirate
521 : Attaque du navire où Assad est embarqué.
523 : Assad lui sauve la vie lors d’un abordage. Cet acte marque le début de leur grande complicité.
526 : Chiara est gravement blessée au ventre suite à un assaut particulièrement violent. Elle survit, récolte une immense cicatrice et apprend qu’elle ne pourra jamais porter d’enfant.
536 : Mutinerie contre le capitaine de L’Infortune, qui est débarqué avec quelques fidèles. Chiara devient capitaine et Assad son second. L’Infortune devient la Grosse Aussilia le soir même. « Il faut toujours rendre hommage aux mères », dira Chiara entre la quatrième ou la cinquième bouteille vidée pour célébrée le nouveau nom.
538 : Chiara perd le titre de capitaine au profit d’Assad à cause d’une défaite aux cartes contre son second. Dans les faits, elle reste aux commandes du navire, bien meilleur chef qu’il ne pourrait l’être.
539 : Elle suit Assad à Camorr et devient pour l’occasion Donna Messa, l’épouse d’Assad aux yeux de tous, et découvre avec plaisir la vie de la noblesse Camorienne, les coutumes étranges ; elle se plait surtout à ne pas suivre l’étiquette.