Compétences

Mona fait des choses assez folles avec sa bouche : boire à la paille, siffler, proférer des injures, prédire la fin du monde. Impressionné ?

- Férue d'étoffes, elle a appris à les coudre, les assortir et leur faire des doublures fort pratiques. Mona peut cacher un stylet n'importe où dans une robe sans qu'on sente ou le poids ou la pointe.
- Elle a un petit talent pour la prestidigitation. Non. On ne parle pas de faire disparaître votre... dans sa... C'est dégueulasse !
- Tout le monde connaît l'Oblique et elle connait tout le monde. C'est tout à fait formidable pour glaner des informations, se voir rapporter les potins, et se sauver les miches en cas de besoin.
- Elle ne sait compter que les tyrins.
- D'ailleurs, elle marchande très bien. Elle enfume. Et elle agace. Tous les moyens sont bons pour obtenir ce qu'elle veut et c'est peut-être sa seule véritable compétence.
- Elle connait son métier, bien sûr.

Who run the world ? Girls !

« Par les Douze, ne mets pas ça dans ta bouche... » On ne prodiguera pas souvent ce conseil à Mona. Elle a six ou sept ans et elle joue dans les étoffes aux odeurs de cannelle et de safran. A hauteur des yeux, il y a des cuisses de toutes les sortes : épaisses, ambrées, gainées, tatouées. Mona observe le défilé des jolies putains qui lui servent tour à tour de mère, de modèle, d'héroïne. Les doigts dans le tissu, elle s'attarde sur Aveline. Elle est belle. C'est la plus belle des Dockeuses. C'est la plus belle des femmes que Mona ait jamais vues. « Tu écoutes ce que je dis ? » La terrible Norma se plante devant la môme qui ouvre de grandes billes sur le décolleté dégoulinant de chair. « Les stylets, ça se plante dans le gras des débiles... » Elle attrape le morceau de bois ouvragé et le glisse dans une encoche à sa ceinture qui le fait disparaître à l'intérieur de son jupon. « Tu risques de t'ouvrir la gencive, et tu sais toutes les maladies qu'on veut pas attraper par là, pas vrai ? » Hochant frénétiquement le crâne, la jeune Desdemona n'est pas très sûre de ce dont on parle. Son éducation lacunaire ne lui laisse que peu de domaines d'expertise. Un seul, en vérité. Elle s'en souvient lorsqu'elle loge l'aiguille dans l'ourlet et reprend son travail consciencieux de couture. « C'est bien, la félicite Norma. » Elle gratifie la gamine d'une caresse dans les cheveux et elle s'éclipse derrière un paravent. Aussitôt libérée de sa surveillance, Mona laisse filer ses doigts, habiles et habitués, et dévore la merveilleuse Aveline du regard. C'est vrai, Mona sait coudre. C'est vrai, elle élabore d'intelligents accès, des poches et des doublures... Mais cette femme. Cette femme est la plus belle de Camorr. Et Desdemona le sait déjà : la beauté achète tout.

Take me to church

Un feulement dans la gorge, elle grimpe sur le ventre et pose ses paumes sur le torse. Elle dessine des arabesques dans le sillon de la gorge, le creux de la clavicule, la ligne de la mâchoire. A présent, elle sourit ; ses yeux caressent les poignets, délicatement noués par un foulard de soie à la poutre qui gît au-dessus du lit. Le bois de l'encadrement est magnifique. S'il n'est pas rare, il est précieux. Mona ne s'habitue pas à la richesse du décor. Elle en veut plus. Elle en veut plein. Tout le temps. Et, pour cela, elle n'a qu'à pencher ses vingt ans sur l'homme entre ses cuisses. « C'est joli, commente-t-il l'horizon comme on découvre que le soleil rencontre la mer. » La gourmandise inonde le regard qu'il dépose sur ses seins. Ça relève la beauté que la putain lui a toujours trouvé. Peut-être n'est-il pas tant que ça au goût de Mona. Peut-être n'est-il qu'un autre client, qui la paie mieux en cadeaux et présents qu'en argent trébuchant. Peut-être. Peut-être qu'elle lui trouve du plaisant aussi longtemps qu'elle sent, dans le fond de son ventre, comme elle lui est plaisante. « C'est tout ? elle presse le bassin. » La lèvre fendue par un coup de dents, il rit et il se plaint. Le lien qui lui retient les mains est trop solide. Mona a grandi sur les docks. On y pratique toutes sortes de nœuds. « C'est très joli, il dit. » « Allons, Tomsa... Tu ne peux pas faire mieux que ça ? » Elle verse à son argumentation le mouvement de ses reins, l'ondulation étudiée, et elle retient le rictus qui lui mange la commissure de la bouche. « Je suis un homme d'action, se défend-t-il. Pas un homme de lettres. » Le sale petit sourire éclate. « Comme cela tombe bien, minaude la sulfureuse. » Elle pousse davantage sur ses paumes et soulève légèrement les fesses. « On m'a faite pour rendre la séduction très ancien-thérin. »

Et au milieu coule une rivière

- On peut passer quarante ans avec quelqu'un et pas le connaître...
- Qui a quarante ans, ici ?
- Mona, s'il te plait...
- Fais pas chier, Vivia. Je vais pas m'asseoir, là, prendre une tasse de thé et pleurer sur la relation qu'on n'a pas.
- Si tu voulais bien faire un effort et...
- Et quoi ? te rendre visite, à toi et ton gentil mari, dans Videnza ?
- A une époque, ça ne te dérangeait pas d'y frayer.
- Redis à une époque et je vais ouvrir ta succession.
- Bien. Rien ne t'interdit de revenir, de faire partie de ma famille. Malgré ce que tu penses, on est toujours soeurs. Et tu es tante. Trois fois.
- Dis donc. Il te besogne, le bourgeois...
- Tu ne peux pas arrêter de parler comme un dockeur ?
- Je suis un dockeur, Vivia ! Je suis une dockeuse ! Et toi aussi. Alors tu te souviens pas ? Ta vraie famille, la première. C'est à force de te faire taper dans le fond, la mémoire t'est descendue ?
- Tu es dégoûtante...  
- Bienvenue dans le véritable monde, chérie. On trousse entre deux portes, on branle sous une fenêtre et, devine quoi, c'est pas si mal. On n'a pas tous le luxe de se faire engrosser avant la Lune de l'Orphelin...
- Alors tu es jalouse de mon bonheur ?
- Quoi ? Ahah ! Ton... bonheur ? ahah ! Oh oui. Je dégueule ton bonheur, ma chère soeur. J'aimerais me vautrer dans de la flanelle pendant que les miens bouffent de la fange ! Va-t'en ! Traîtresse ! Va-t'en !

Le peu que je sais, c'est à mon ignorance que je le dois.

« Je vous en vends quatre, vous m'en achetez sept. On fait passer ça par l'aiguille sud, et vous faites l'impasse sur le cens. Vous y gagnez si je passe en-deçà vingt et qu'on met dix pour la vigie. C'est sûr, si vous en prenez seize, moi, je rentre dans mes frais puis, vous, votre patron est content parce que c'est une affaire. Mieux que si vous en aviez pris trois à trente et que vous étiez allé prendre la mer à Ashmere. Remarquez, vous pouvez... » Le pauvre type écarquille les yeux, puis il reprend son souffle comme si ce torrent de mots était sorti de sa propre bouche. En face de lui, l'Oblique arbore un sourire étudié. Figé en une grimace déclinante, il avoue une certaine perplexité. « On peut aussi s'en remettre à Emberlain. Mais vous connaissez Emberlain... » « On parle toujours de cognac, n'est-ce pas ? il tente avec la prudence de celui qui marche pieds nus sur des éclats de verre. » « De quoi voulez-vous qu'on parle ? riposte Mona. » Avec une humeur manifeste, elle efface le rictus qui lui barrait la bouche. « Je croyais négocier avec quelqu'un qui connait son affaire mais vu le regard que vous me servez... » « Attendez, attendez, dit-il haletant. » Elle n'est pas partie. Elle n'a pas esquissé le geste de le faire. « Mon maître serait ravi de déguster du cognac d'Austershalim... » « Et à ce prix ! » « Certes, certes, s'empresse-t-il d'ajouter. Néanmoins, tout ça me semble un peu confus... sans compter que je n'ai aucune chance d'obtenir les sommes dont on parle sans rentrer à Talisham. » « C'est-à-dire ? » « Il me faudra quelques semaines... » Elle toussote. « Semaines ? » « Au moins. » « Vous savez quoi, mon brave ? Laissez tomber. Ce truc, en plus, c'est de la piquette. »