Compétences

Parle vadran et a appris le thérin à une vitesse phénoménale, forcé par les circonstances, avec un accent horrible • A de vastes connaissances en cartographie et en maniement de navires (sans être un expert, après tout. ce sont des connaissances théoriques que ces dernières)... et il sait nager (compétence très utilisée, à Camorr) • Conte fleurette, argumente fleurette, aime à se gargariser du plaisir typiquement Vadrans des longs discours et des longues argumentations qui font s'endormir les moins aiguisés • Manie l'épée, il était tout de même graf, mais jamais aussi bien que les mots • Sait lire (tu crois quoi), écrire, calculer et jouer du violon si ignoblement que ça en est un art (ses parents ont longuement regretté de l'avoir forcé à apprendre cet instrument) • Possède de fines papilles gustatives qui lui permettent de distinguer le réel Austershalim des mélanges douteux et autres bouteilles de pisse fermentée que les Camorriens tentent de faire passer pour les trésors alcoolisés des Sept Essences

« Parlay me manque. »

Les mots ne viennent pas de la bouche de Sigrid, comme quelques fois, quand elle rage contre les terres qu'ils ont quitté, contre ce jardin envahit de mauvaises herbes, contre ce manoir aux murs tachés de cendres, contre son époux. Les mots viennent de la bouche d'Emil, aveu qui tord son visage pâle en une moue triste et préoccupée.

Parlay lui manque cruellement.

Ses hivers lui manquent déjà, ses côtes recouvertes de neige et sa mer recouverte de glaces fendues par les bateaux aux coques les plus solides, s'avançant comme de noirs présages dans le port de la cité. Son ordre lui manque, aussi, même si celui-ci était nettement moins resserré depuis sa prise de la couronne. Ses rues dégagées et propres, ses gardes et agents consciencieux, son absence pratiquement totale de pègre et de criminels – à peines quelques petits arnaqueurs sans importance. Son port garni et fourmillant de marins, d'armateurs, de cartographes, de ces mille personnages colorés qui font le monde des mers et qui découvrent chaque jour des terres que jamais l'imagination ne saurait tracer. Oui, Parlay lui manque, et c'est bien de sa faute s'ils n'y sont plus. C'est ce qu'il lit, dans chaque reproche de Sigrid, dans chacun de ses regards lourds sur lui, dans ce corps qui se dérobe lorsque ses doigts l'effleurent à peine les lainages tombés.

C'est lui, qui n'a pas su jouer le Jeu Doré.

Alors Parlay lui manque et l'aveu est accueilli d'un regard tendre, cette fois, alors que ses doigts viennent chercher ceux de son épouse. Le canapé où ils lisent, paisibles, est râpé, et les murs laissent passer le vent de la nuit, soufflant un léger vent dans les boucles claires de Sigrid. Ça pourrait être dramatique, romantique, si ce n'était pas pathétique. Si, entre deux bals où il exhibe des habits mangés aux mites, entre deux discussions à rapporter à un sous-fifre du duc, entre deux murs abattus pour être érigés à nouveau, il n'avait pas envie de pleurer. C'est de sa faute, s'ils sont ici. Ils auraient pu trouver refuge dans une des cités des Sept Essences, leur noble statut leur permettant d'avoir une place confortable dans la société de n'importe quelle autre ville, même si ce n'était plus avec la couronne de graf. C'est lui qui a voulu fuir, aussi loin qu'ils le pouvaient sur ce continent, de Parlay. Fuir loin des traîtres, fuir loin d'un peuple qu'il ne reconnaissait plus, d'un peuple auquel il ne se fiait plus surtout. La seule chose qui le conforte et qui le fait avancer vers l'idée de redevenir quelqu'un est qu'ils ne peuvent pas tomber plus bas. Qu'ils ont vécu le pire. Ils ont failli être tués, ils se sont exilés de leurs terres natales, ils ont mendié la charité du duc Nicovante et ont repris le domaine abandonné d'Acciari, en chassant les mendiants installés depuis longtemps. Non, ils ne peuvent tomber plus bas, se répète Emil avec ferveur, presque comme une prière. Alors chaque jour il travaille, pour se reconstituer une fortune, pour récupérer son statut et son prestige. Alors chaque jour il prie les Eaux Fortunées.
Ses doigts pâles caressent ceux de Sigrid, avant que son corps se rapproche, son visage, venant cueillir un baiser des lèvres de son épouse. De ses cinq années de règne, il ne reste que les cinq années heureuses de son mariage. « L'ambassadeur de Syrune nous a invité à un bal, demain soir, murmure l'homme contre le visage de la blonde, dans ce vadran maternel qu'il utilise de moins en moins, forcé de parler thérin. Ses yeux verts cillent, se portent vers l'endroit lointain où se trouve la garde-robe de la dame. Je t'ai acheté quelque chose. » Ils ont peu d'argent, mais il ne peut s'empêcher de le dépenser. Surtout quand il est question de Sigrid, qu'il gâte et cajole encore comme dans les premiers jours de sa cour amoureuse. Tout pour voir ce sourire, comme celui qu'elle arbore maintenant, étirer ses lèvres.

Que les Eaux Fortunées les protègent.
Il ne veut plus rien perdre.