Compétences

Grimper par-dessus un mur, se faufiler discrètement dans un jardin, se hisser le long d'un tronc d'arbre, bondir sur une terrasse, déverrouiller une fenêtre, trouver une chambre, alourdir le sommeil des propriétaires, vider le coffret à bijoux de la bonne femme, piquer des boutons de manchettes en or du mari, renverser une statuette de Morgante, puis disparaître.
Ran est une cambrioleuse de talent, c'est indéniable. Attirer l'attention de la main droite puis faire les poches de la main gauche lui est naturel.
Pour survivre dans les rues, elle a apprit à combattre. Plus efficace dans l'esquive que dans le brisage de crânes, elle porte toujours une ou deux dagues à la ceinture. Les Amateurs lui ont appris à rester crédible face aux bourgeois pendant des heures, non des jours. Et malgré son accent très léger, elle parle très bien le thérin. Il arrive que des mots lui viennent dans une langue dont elle ne connait pas le nom.

Mer de Fer - 520

La lueur du matin grandissait à l'est sous de lourds nimbus noirs, célestes souverains gorgés d'eau et d'orgueil. S'éternisait dans leur sillage une fine bruine argentée.

- Sûre qu'vous voulez qu'on aille voir Cap'taine ? Les Jérémites, même pour crever on peut pas leur faire confiance. J'vous le dis moi, à peine avalés qu'Iono voudra les recracher !

Depuis leur propre embarcation, les membres de l'équipage pirate auscultaient nerveusement les restes d'un navire jérémite.
Les vagues sont discrètes, elle tuent puis engloutissent. Pudiques, elles dissimulent leurs méfaits. Pas là. Les griffes de la mer n'avaient laissé derrière elles qu'une épaisse carcasse de bois éventrée, les entrailles grignotées par le sel. Un suaire de voiles lacérées tanguait au-dessus de la proue. Le mât, brisé, arraché, puis jeté à l'eau, flottait négligemment parmi des milliers d'autres débris, tel le bras mort d'une contrarequialla. Les cordages grelottaient dans le vide ou serpentaient sur les flots. Ostentation suffisante :  le vaisseau défait, l'abîme triomphant.
Profitant de l'accalmie nouvelle, une singulière petite créature endormie sur un morceau de bastingage émergea dans l'ombre de l'épave.

- Cap'taine ! Y'a un chat qu'a survécu !
- C'est pas un chat bougre d'abruti, c'est un putain de marmot ! Remontez-la !

Six semaines plus tard - Docks de Camorr

Les mains sinueuses, cupides, insatiables du Faiseur de Voleurs s'agitaient doucement sur son verre vide. Il considérait son interlocutrice, dubitatif.

- Au beau milieu de la mer, tu dis ?
- Ils la ramenaient à Jérem, oui.
- Pour une maison de plaisirs.
- Je suppose. Ou pire. En tout cas, elle a une drôle de bouille et son charabia est incompréhensible. Je sais pas où ils ont été la choper, ces tarés.
- Je récapitule. Incapable d'aligner trois mots en thérin, une figure qui fait tâche dans la foule, et un caractère de merde. Et selon toi, elle serait mieux chez moi que chez les putes. Soit. Elle s'en sortira jamais, mais soit. Ton prix ?

Les Goulets - 528

La piaule des Bras-Longs n'était pas bien spacieuse et le mobilier dénotait d'un cruel manque de goût. Des lambeaux de tissus lashaniens pendaient tristement aux murs, comme pour soutenir " qu'au moins dans cette bande, on crève pas de faim ! "

- Ran, c'est bien comme ça qu'on prononce ?

Elle hocha la tête, pas vraiment enthousiasmée par la piquette qu'on lui avait servie. A l'inverse, l'homme installé devant elle souriait de toutes ses dents. Il accordait beaucoup d'importance à l'accueil chaleureux de nouvelles recrues.

- Parfait. Ran donc. Te voilà des notres. Normalement les Amateurs filent pas de la merde aux bandes du Capa Benedicto, mais sait-on jamais, on va quand même devoir te tester un peu.

Au fond de la pièce, un adolescent aux longues boucles noires écoutait distraitement, absorbé par sa partie de cartes catastrophique. Amusée, sa soeur le dépouillait sans aucun scrupule. Leur teint olivâtre typiquement camorrien épousait parfaitement la pénombre dans laquelle ils baignaient. Mateo et Serena. Ou quelque chose comme ça.

- J'ai quelques bonnes infos concernant la cale d'un bateau syres...

Le vrombissement de la porte qu'on défonce lui cloua la langue. Le carreau d'arbalète du jaunard se chargea de la gorge. Saisissement. Effroi. Quatre Vestes-Jaunes entrèrent. Ivres du pouvoir conféré par Morgante. Ran s'élança à travers la fenêtre grande ouverte. Les joueurs de cartes dégainèrent, puis s'écroulèrent. Plus preste que jamais, Ran atterrit sur un banc d'albâtre duquel elle bondit pour atteindre une corniche. Tirant sur ses bras, elle gonfla sa chair, effleura une colonne de pierre, puis rejoignit les toits. Sous ses pieds, les tuiles restaient muettes. Le garrista des Bras-Longs eut apprécié l'investissement s'il n'étouffait pas à l'instant même dans son propre sang.
D'un rapide coup d'œil, Ran constata l'invasion jaune du territoire de Benedicto. Des cris abrégés à coups de masses s'échappèrent du puit qu'elle venait de quitter. Le ventre retourné, elle courut.

Geôle du Palais de la Patience - 539  

Les murs brûlants suintaient d'arômes obscurs, subtile combinaison de pisse et de sueur. Le faux-jour crachait sa lumière jusqu'aux pieds de Ran. Enfermée depuis trois nuits, elle s'imaginait jetée dans une fausse commune, la gorge meurtrie par la corde l'ayant fait pendouiller plusieurs heures sous le Pont Noir. Un soupir lui échappa. Quelle misère ! Tant qu'à faire, je préfère pourrir entre deux mirés squelettiques que de partager ma tombe avec un rentier obèse. A deux pas d'elle, assis dans un coin, un homme un peu plus âgé qu'elle se balançait doucement d'avant en arrière, visiblement préoccupé. "Pas assez de place pour la mixité ma p'tite dame" lui avait-il dit, trop heureux d'être en si charmante compagnie.

- Qu'as-tu fais de beau pour être ici ?

Surpris, il haussa les sourcils en même temps que ses épaules. Se grattant la barbe, il répondit d'un air enjoué.

- Oh. Moi, rien. Mais le hasard fait bien les choses.

Miséricorde, qu'on la pende rapidement.
Des murmures s'échappèrent du fond d'un couloir. Des pas résonnèrent dans l'escalier. Deux gardes s'arrêtèrent devant leur case. Une moue méprisante déformait leur visage. L'un d'eux, sous les yeux de son compère, glissa un plateau à travers une petite ouverture aux pieds de la porte. Le dîner. Deux bols remplis d'une soupe aux ailerons de requins bouillis au lactose. Dernier châtiment des condamnés. Les deux Vestes-Jaunes s'effacèrent sans un mot et laissèrent les captifs s'approcher du bouillon. Croyant discerner un mollard flottant à la surface, Ran eut un haut-le-cœur.  

- Puis-je ?
- Fais toi plaisir.

Se penchant pour vérifier qu'ils étaient seuls, le camorrien plongea ses doigts dans la soupe de Ran et en tira une minuscule bourse cousue dans une vessie de porc. Il réitéra et trouva un second sachet dans son propre bol. Satisfait d'y découvrir une poudre blanche, il la versa délicatement sur sa langue. Au contact de sa salive, la poussière alchimique enfla sous son palais. Il la mastiqua quelques secondes puis appliqua la pâte obtenue sur la serrure de la cellule. Médusée, Ran l'étudiait, abasourdie par l'absurdité de la situation. Une vingtaine de secondes s'écoulèrent ; la pâte prit une teinte orangée. Il vida le second récipient dans sa paume grande ouverte et souffla le contenu - une poudre écarlate - sur le verrou. Les deux substances fusionnèrent dans un léger crépitement. Vaincu, l'acier céda et la porte s'ouvrit d'elle même.

- Tu peux m'accompagner, si tu le désires.
- ... Tu t'appelles ?
- Aujourd'hui, Vitale. En temps normal, Vasco Veridian.

Chronologie

514 - Ran naît sur les côtes d'un lointain continent.
519 - Capturée par des jérémites, elle embarque sur un bateau esclavagiste.
520 - Durant le voyage, le navire sombre dans d'étranges circonstances. Ran se fait secourir par un brick pirate camorrien.
520 - Le capitaine la vend au Faiseur de Voleurs.
522 - Elle quitte la Rue pour rejoindre les Fenêtres.
526 - Le Faiseur de Voleurs la vend à la bande des Amateurs.
526.528 - Elle apprend à manier une lame, à dénicher de meilleures cibles, et à survivre par elle-même dans Camorr.
528 - Les Amateurs la vendent aux Bras-Longs.
528 - Le Capa Benedicto et ses bandes se font massacrer. Ran parvient à s'échapper et commence à vivre seule. Ses moyens de rémunérations gravitent toujours autour du vol. Elle profite du chaos ambiant pour éviter de se soumettre au moindre Capa.
539 - Un cambriolage se déroule mal. Les Vestes-Jaunes s'emparent d'elle et l'enferment. Elle s'échappe du Palais de la Patience avec Vasco Veridian, puis rejoint sa bande.