Compétences

S’il ne sait absolument pas manier une épée correctement, il a appris à tirer à l’arc et à l’arbalète de manière tout à fait acceptable. Ce n’est certes pas le meilleur, mais il peut se vanter d’arriver à toucher sa cible à quelques mètres de distance sans se blesser, ou blesser quelqu'un involontairement.

Doté d'une capacité innée pour la dissimulation et les non-dits, Idriss parvient à s'inventer des identités, de nouvelles vies, avec une facilité déconcertante. Le mensonge est pour une lui une seconde peau, un moyen d'oublier sa triste ascendance et de se faire voir autrement aux yeux des autres.

Si savoir tenir l’alcool mieux que personne est une capacité, alors on peut l’ajouter à la maigre liste des compétences d’Idriss. Là où un type lambda sera part terre en train de vomir tripes et boyaux, Idriss sera encore capable de se tenir debout à pousser la chansonnette – très faux évidemment – et de raconter les blagues les plus vaseuses de Camorr.

Friends become our chosen family

« Et même que ta mère, elle est aussi laide que le cul d’une chèvre. » « Et ta mère, elle sent autant que tes d’ssous d’bras ! » « Et même que ta mère… » « Et même que… » L’histoire raconte qu’Idriss et Flavius continuèrent d’insulter gaiement leurs mères respectives durant plusieurs minutes avant que l’un ne décide de cogner l’autre pour faire valoir sa supériorité. C’est après cette joute improvisée qu’ils devinrent les meilleurs amis du monde. On aurait sans doute pu imaginer une rencontre un peu moins banale entre ces deux turbulents compagnons, mais il n’en fallut pas moins à ces deux gosses tirés du Chaudron, pour lier une amitié aussi solide que durable. Ils grandirent là, dans ce quartier misérable, puant autant que son nom pouvait le laissait présager. Crasseux et miteux, les deux gamins essayaient d’aider leurs familles en procédant à des petits larcins dans les quartiers commerçant de la cité, Flavius se laissant aisément entraîner par le charismatique Idriss qui prit peu à peu le rôle de chef de bande. Rusé, il n’était pourtant pas le plus vif et avait la main peu sûre – contrairement à son comparse -  pour voler le contenu des bourses. Il faillit se faire attraper plusieurs fois par des Vestes Jaunes, et préféra dès lors jouer le rôle d’appât dans leurs petites entreprises en se mettant en scène, se trouvant un talent certain pour la comédie et le mensonge. Talent qui s’avéra fort utile pour ramener un petit butin à la maison, permettant à sa mère de cuisiner des repas plus riches que ce qu'ils mangeaient habituellement.

Le temps passa, et apporta avec lui son lot de problèmes.
La santé de sa mère avait décliné peu à peu, l’air vicié du Chaudron attaquant les poumons de la femme qui sembla prendre dix ans en quelques semaines. Incapable de faire quoi que ce soit pour ramener de l’argent à la maison, elle laissa Idriss gérer tandis qu’elle sombrait peu à peu dans la maladie, et que la folie s'emparait lentement de son esprit. Bientôt, elle oublia l'existence même de son fils, se parlant à elle-même, tournant en rond dans la maison où elle était enfermée. Au milieu de l'hiver de l'an 522, la moindre de ses toux révélait un mouchoir tâché de sang. Idriss comprit que bientôt, ce serait la fin. Il était alors à l'aube de ses 15 ans, et se sentait prêt à changer de vie.


Goodbye mother

« Oui… oui. Il faut du feu. Un peu plus de feu. Oui… Il fait si froid. Si froid. » La femme tournait en rond dans la misérable pièce lui servant de demeure, cherchant du combustible alors que le feu brûlait pourtant dans l’âtre avec vigueur. Prise dans sa quête folle et inutile, elle s’arrêta soudain, pour darder un regard méfiant sur le jeune garçon de quinze ans dont la fine silhouette se détachait dans l’entrée. L’espace d’un instant, Idriss cru percevoir une pointe de lucidité dans son regard, comme si elle parvenait à se souvenir de cet unique enfant qu’elle avait élevé avec amour et attention. Mais bientôt, elle reprit ses recherches minutieuses, inspectant chaque recoin de la pièce, happée par son délire obsessionnel sans que personne ne puisse l’en sortir, continuant de marmonner des paroles inintelligible pour elle-même et pour la multitude de personnes s’étant fait une place dans son esprit dérangé. Pendant quelques instants, Idriss se prit à détailler cette mère qui n’était plus que le sinistre reflet de la femme qu’il avait connu. Belle camorrienne à la peau hâlée et aux yeux sombres, l’éclat de sa jeunesse s’était évanoui après des années d’une vie miséreuse et solitaire. La chevelure était désormais striée de mèches blanches et ternes, et son visage marqué par de profondes rides lui faisait paraitre le double de son âge. Pire encore était ce regard, révélant les crises de démences qui la prenait de plus en plus souvent, et avec une extrême violence parfois.
Idriss devait maintenant prendre une décision à son sujet, et même si la tuberculose continuait de faire son œuvre, il ne pouvait se permettre d’attendre plus longtemps. Cette folle qui parcourait la maison de long en large n’avait plus rien à voir avec sa mère. Ce n’était qu’une étrangère aux portes de la mort, qui méritait qu’on abrège des souffrances qui n’avaient que trop durées. Et la vérité était qu’Idriss n’avait pas le courage de faire cela lui-même. Alors il attendit. Il attendit qu’elle se calme avant de prendre sa main, lui offrant un sourire apaisant comme il savait les faire. Elle lui sourit en retour tandis qu’il la menait vers l’extérieur, sa paume contre la sienne, l’aidant bientôt à sauter dans une petite barque de bois en piteux état, qu’il manœuvra pourtant avec aisance. Il l’emmena loin des Chaudrons, loin de ce qu’elle avait toujours connu, au milieu des Docks. Puis il la débarqua avant de s’éloigner, embrassant sa paume une dernière fois, murmurant du bout des lèvres « Adieu maman. » Et tandis qu’il poussait la barque au fil de l’eau, qu’il voyait l’ombre de celle qui lui avait donné la vie se détacher et s’éloigner de plus en plus, il ne put s’empêcher de penser à ces quelques paroles « Tu ressembles tant à ton père ». Oui. Il lui ressemblait tant qu’il l’avait également abandonné. Et c’est à cet instant que le remord vint lui ronger les entrailles, tandis qu’une prière silencieuse à Aza Guilla vint s’emparer de ses lèvres.

Le travail c'est la santé...

« Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse de  ça ? » Flavius désigna d’un mouvement de tête la poudre noire que tint Idriss entre ses mains. Ce-dernier leva les yeux au ciel, comme si son idée paraissait évidente. « C’est simple. Tu mets ce truc dans de l’eau, tu mélanges, puis tu individualise le résultat dans des p’tits flacons à part. Après, on s’déguise. On peut bien trouver d’quoi s’faire passer pour des médecins dans l’coin. » Il esquissa un sourire satisfait après ces maigres explications qui ne parvinrent pas à convaincre entièrement le jeune Flavius qui croisa les bras sous sa poitrine, affichant une moue goguenarde. « Ouais, et tu trouves où l’étal et les costumes ? Et c’est ni toi, ni moi, qui allons écrire sur les panneaux j’te signale. Aucun de nous ne sait lire, ni écrire. » Idriss secoua la main devant son nez, comme pour chasser cette idée qui l’irritait au plus haut point. Lire et écrire, c’était pour les guignols. Eux au moins, ils savaient se débrouiller comme des hommes, sans avoir besoin de papier et de plume. « On a encore de l’argent en réserve. Et j’ai une amie qui pourra nous aider pour l’écriture. » « Ouais. Une amie. Bah j’espère qu’elle est pas trop bavarde ton amie. » « Elle est muette. Mais si tu savais ce qu’elle sait faire avec sa b… » « Non. J’veux pas savoir. C’est d’accord. » « Et bah voilà, un peu de coopération. »

We are in trouble

Enveloppé dans une épaisse cape de tissus sombre, Idriss traversait rapidement le quartier des Traquenards pour rejoindre Norah. Norah qui lui avait donné rendez-vous quelques heures plus tôt au sein de leur bordel principal. Pensant qu’il allait passer un peu de bon temps – bien qu’il se trompait lourdement – Idriss sifflotait aux coins des rues avec une joie qui aurai presque pu paraitre suspecte. Quelques regards en coin le firent bientôt se taire, et il continua sa route plus silencieusement, tout en pensant à la jolie putain qui l’attendait. Norah, il la connaissait depuis l’enfance. Elle avait fait partie de sa bande pendant quelques années, et puis ils avaient grandi. Elle avait fini par partir pour honorer la profession de pute avec des talents qu’elle ne se connaissait sans doute pas alors, et finalement ils avaient réussi à se retrouver. Ami et amant, Idriss ne pensait pas que cela puisse s’arrêter un jour. Mais lorsqu’il entra dans la chambre, et la trouva en larme, il sut que quelque chose ne s’était pas déroulé comme prévu. Après quelques cris, il n’entendit qu’une chose « Je suis enceinte ». En à peine quelques instants, Idriss perdit sa couleur, sa superbe, et sa virilité dans un coin de la pièce. Voilà quelque chose qu’il ne s’attendait certainement pas à entendre aujourd’hui – ni jamais pour tout dire. Il ouvrit la bouche avant de la refermer, ne sachant que lui dire. Désolé ? Il ne l’était pas vraiment. Débrouilles toi ? Il ne pouvait pas la laisser alors que lui seul l’avait mise dans cette situation. Une seule phrase lui traversa l’esprit, titillant sa langue et ses lèvres tandis qu’il lâcha « On est dans une putain de merde. ».

Retour à la maison

« C’est ça Camorr papa ? » Un sourire naquit sur les lèvres d’Idriss tandis qu’il soulevait sa fille de dix ans dans ses bras. Le bateau voguait rapidement vers les côtés, et l’on pouvait aisément distinguer le quartier des Cinq Tours, abritant les personnes les plus prestigieuses de ce monde au sein d’immenses édifices en verre d’antan. « Oui ma princesse. C’est chez nous. Du moins pour quelques temps. » Idriss avait utilisé ses dernières économies pour acheter une maison plus que convenable dans le quartier du Tournant de la Fontaine. Il pouvait ainsi s’assurer un statut au sein de la cité, et pourrait convoiter sans honte une fille de la noblesse à laquelle il pourrait spolier la fortune. Il embrassa la tempe de Cybèle, la jolie Cybèle qui semblait avoir hérité de toute la beauté de sa mère. Il se mordit la langue. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus pensé à Norah… Mais le retour dans la cité de son enfance, conjugué à Cybèle à laquelle il n’avait jamais osé avouer la vérité, lui rappelait des souvenirs aussi heureux que douloureux. Il relâcha sa fille qui se mit à courir sur le pont, ses cheveux noirs flottant au vent, tandis que lui-même se contentait d’observer l’horizon. Avait-il eu raison de revenir après huit années d’absences ? Si seulement c’était vrai. Heureusement, il n’était pas seul dans cette entreprise. Flavius, son fidèle ami, ne l’avait pas laissé tombé, restant fidèle à sa promesse d’enfance, et l’aidant à accomplir ses arnaques avec brio. Et puis, maintenant il y avait sa fille. Cybèle comptait plus que tout pour lui, et il voulait son bonheur avant tout. En achetant un titre de noblesse – même étranger – il la mettait à l’abri d’une vie de misère, refusant qu’elle vive ce que lui-même ou bien sa mère avait pu vivre durant leur enfance. Jamais sa fille ne vivrait de ses propres larcins. C'était hors de question. « Prêt à revoir Camorr mon ami ? » avait murmuré Flavius en posant une main sur son épaule. Idriss avait opiné lentement « J'espère. Oh oui, par l'Innommé. J'espère que cette putain de cité ne causera pas notre perte à tous. »

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